Retrouve les précédents épisodes de cette série sur l’évolution du développement personnel sur le site internet paradox.io :
À la Renaissance, dans les peintures de Léonard de Vinci ou les écrits d’Érasme, on voit réapparaître cette idée que l’homme peut s’élever par la connaissance, l’art et la philosophie.
C’est l’ère du Renaissance Man.
Plus tard, au siècle des Lumières, cette idée prend un tournant décisif : l’individu n’a plus simplement la possibilité, mais le devoir de cultiver pleinement son potentiel.
C’est un moment révolutionnaire.
Rousseau, par exemple, prône l’idée que chaque être humain est naturellement bon et que c’est par l’éducation et la réflexion critique qu’il peut se libérer des chaînes de l’ignorance.
La responsabilité individuelle devient centrale : nous sommes les créateurs de notre propre destin.
Mais c’est ici que les déformations commencent.
Car si cette philosophie avait pour but d’émanciper l’homme, l’industrie moderne du développement personnel a, quant à elle, exploité cette vision pour créer un tout autre récit.
Une idée qui, en surface, semble pleine de bon sens et motivante, pas vrai ? Je connais des dizaines de personnes que ce message a aidé, moi le premier !
Pourtant, si on creuse un peu, on voit que cette phrase déforme complètement l’idée originale des Lumières.
L’homme des Lumières savait que l’éducation, la raison et l’effort étaient essentiels – mais il ne disait pas que tout dépendait uniquement de la volonté individuelle.
La réalité est plus complexe.
Des penseurs comme Pierre Bourdieu ont depuis longtemps exploré comment les “capitaux” (économique, social, culturel) affectent les trajectoires de vie.
Une personne née dans un milieu défavorisé pourra faire preuve de toute la volonté du monde, elle se heurtera sans doute à des obstacles structurels qui limitent ses opportunités. J’ai bien écrit “limitent”. Rappelons-nous que l’histoire regorge d’exemples de personnes qui ont réussi contre toute attente, malgré des circonstances qui ne semblaient pas les y destiner.
Ce que les Lumières voulaient nous transmettre, c’est une notion plus subtile de la responsabilité : celle de faire de notre mieux avec ce que nous avons, tout en acceptant les facteurs que nous ne pouvons pas contrôler.
À force de faire abstraction de ces facteurs, le développement personnel moderne alimente un cycle de culpabilité alors que, plutôt que de lutter perpétuellement contre nos faiblesses, nous devrions accepter qu’elles font partie intégrante de ce qui nous rend humains.
C’est précisément ce qu’Aristote, Sénèque et bien d’autres ont enseigné : il ne s’agit pas d’éviter les défis, mais de les traverser, de les affronter, de s’y adapter.
Finalement, le dev perso n’est qu’un produit de son époque.
Une époque qui promeut le culte de l’immédiateté, sans prendre en compte les facteurs contextuels qui influencent notre trajectoire de vie.
Alors forcément, l’offre s’est adaptée pour refléter ces demandes… quitte parfois à être caricaturale dans les promesses qu’elle vend :
“Deviens riche en 30 jours grâce à cette nouvelle méthode qui ne demande aucune compétence, ni expérience, et seulement 2h de ton temps chaque jour.”
“Pulvérise tes blocages et crée l’abondance que tu mérites avec facilité.”
“Développe une confiance illimitée et un bonheur éternel en 6 jours seulement.”
Crédible ? Non ?
Pourtant, et c’est ça le plus dingue…
Pourquoi ?
Parce que, même si notre instinct nous dit que c’est certainement des balivernes, nous sommes programmés pour y croire.
Notre cerveau est naturellement enclin à chercher des solutions rapides, des raccourcis, surtout face à des défis qui nous semblent insurmontables.
Quand nous sommes vulnérables, fatigués, déçus, ou quand on traverse une période difficile – comme un divorce, un deuil, ou encore des échecs professionnels répétés, l’activité de notre cortex préfrontal (cette partie de notre cerveau responsable de la pensée critique) diminue.
En d’autres termes, dans des situations où nous sommes émotionnels, nous perdons notre capacité à réfléchir de manière rationnelle et à exercer notre esprit critique.
C’est là que nous devenons malléables, que nous abaissons nos défenses mentales, et que nous sommes prêts à accepter des promesses qui, en temps normal, semblent ridicules.
Lorsque nous sommes pris dans cette tempête émotionnelle, nous sommes prêts à tout pour croire que la solution miracle est à portée de main.
Le résultat ?
Nous tombons dans un cycle répétitif de déception.
Après avoir appliqué ces méthodes inefficaces, encore et encore, on finit par croire que le problème vient de nous. Ou qu’on est différents.
Mais ce n’est pas le cas.
C’est simplement le produit d’un système qui exploite les failles de notre esprit humain, qui se nourrit de nos moments de faiblesse, et qui, au lieu de nous responsabiliser de manière constructive, nous pousse dans une spirale de culpabilité.
À force de courir après des solutions simplistes et instantanées, nous finissons par perdre espoir.
Et c’est comme ça qu’une industrie qui avait pour objectif de rendre la vie des gens meilleure finit parfois par causer du désespoir et cultiver un sentiment d’impuissance.
Dans le prochain épisode, on parlera de rêves, d’ambitions, de réussites… Et tu vas voir qu’on n’est pas au bout de nos surprises.