L’histoire commence dans les rues poussiéreuses de l’Athènes antique, là où Aristote, le sage au visage marqué par le temps, interroge sans relâche les citoyens pour percer le mystère de la “vie bonne”. Un concept philosophique lié à la quête du bonheur, de l’accomplissement personnel et de la moralité dans la vie.
Il promeut alors l’eudaimonia. Selon lui, le bonheur n’est pas simplement une question de plaisir ou de richesse, mais plutôt de réalisation de son plein potentiel en tant qu’être humain et le développement de ses vertus.
L’eudaimonia n’est pas un état émotionnel temporaire, mais un mode de vie complet et accompli qui se réalise sur toute une existence.
Quelques siècles plus tard, à Rome, les imposantes colonnes de marbre du Forum de César se dressent sous un ciel éclatant, tandis que Sénèque médite sur la fragilité de la vie.
Pour lui comme pour ses collègues stoïciens Épictète et Marc-Aurèle, la vie bonne implique la tranquillité d’esprit, atteinte en acceptant le monde tel qu’il est et en se libérant des passions destructrices (peur, colère, désir excessif).
Pour eux, la vie bonne est une vie de maîtrise de soi et de sérénité intérieure.
Plus à l’Est, dans les terres sacrées de l’Inde ancienne, les sages indiens puisent quant à eux dans des textes comme les Upanishads ou le Bhagavad Gita pour aligner les individus avec leur dharma.
(C’est-à-dire, la loi morale à suivre pour maintenir l’harmonie dans l’univers et dans sa propre vie, en accord avec l’ordre naturel et spirituel.)
Plus tard, des penseurs comme Saint Augustin et Thomas d’Aquin rappellent de leur côté que le travail sur soi est avant tout un chemin vers la purification de l’âme pour plaire à Dieu.
Pendant des siècles, sous l’influence de courants religieux comme la scolastique chrétienne médiévale, la quête d’accomplissement personnel est donc étroitement liée à la volonté divine.
L’idée n’est alors plus de se développer pour atteindre son potentiel, mais davantage pour le salut de son âme.
En Orient comme en Occident, l’homme n’est donc plus qu’un maillon d’un ordre divin ou cosmique qu’on devait respecter sans s’en écarter.
Mais après la chute de Constantinople, les textes de l’Antiquité refont surface.
C’est ainsi qu’à la Renaissance, au milieu des fresques de Michel-Ange et des écrits d’Érasme, on redécouvre une idée phare :
Celle que l’homme peut s’améliorer, non plus seulement pour respecter un rôle assigné par l’univers ou pour plaire à Dieu, mais pour accomplir son plein potentiel en tant qu’individu conscient et libre.
Cette idée culmine durant le siècle des Lumières sous la plume de penseurs de la liberté comme Rousseau ou Kant.
À la lumière vacillante des bougies de leurs cabinets de travail, ils proclament que la raison et l’éducation sont les outils ultimes pour perfectionner l’homme, et que chacun a le devoir d’aller au bout de cette ambition pour se libérer des chaînes de l’ignorance.
Au cours de l’histoire, nombreuses ont été les personnalités à vouloir percer les mystères du bonheur et de l’épanouissement.
Mais à la fin du XIXe siècle, aux États-Unis, dans un contexte d’industrialisation et d’urbanisation rapide, un nouveau courant émerge : le New Thought.
À ce moment, les gens cherchent des réponses spirituelles pour faire face à l’isolement et aux nouvelles pressions de la vie moderne.
Les enseignements du New Thought reposent sur l’idée qu’on peut atteindre bonheur, prospérité et succès grâce à l’unique pouvoir de notre esprit et de la pensée positive.
Séduisant pas vrai ?
Alors que jusque-là, le succès et l'amélioration de soi étaient attribués au travail acharné, à la persévérance et à la discipline, le New Thought marque un éloignement de l'accent mis sur l'effort physique ou mental intense comme seul moyen d'atteindre ses objectifs.
À ce moment-là, l’Amérique est en pleine transformation et l’individu est de plus en plus valorisé en tant qu’acteur de son propre destin.
Il faudra attendre la Grande Dépression (1929-1939) pour ancrer plus fortement l’image du développement personnel moderne.
Pendant cette période de crise économique mondiale, les Américains dévastés, cherchent des moyens d’améliorer leurs perspectives personnelles et professionnelles dans un climat d’incertitude.
C’est à ce moment que Dale Carnegie, Napoleon Hill, Earl Nightingale ou encore plus récemment Rhonda Byrne popularisent fortement la pensée positive, la loi d’attraction ou encore la visualisation comme méthode d’accomplissement personnel.
On fait alors face à un bombardement médiatique qui renforce de manière quasi permanente le fantasme d’une vie dénuée d’inconfort.
De plus en plus de méthodes miracles vendent alors une vie sans peur, sans échec, sans douleur, avec la promesse de créer des résultats instantanés, par le simple pouvoir de la pensée.
Une vie sans souffrance ? Cool non ?
En nous faisant croire à un développement personnel simple, facile, sans effort et immédiat, l’enthousiasme des premiers instants laisse place à la réalité de notre quotidien :
Alors que certaines personnes baissent les bras et blâment le destin de s’acharner contre elles, d’autres se mettent même à croire qu’elles sont la cause du problème.
Résultat : de nombreuses personnes perdent confiance en elles ou rejettent le développement personnel. D’autres, plus sceptiques, sont repoussées depuis le début par un manque évident de crédibilité.
Alors que le coup de force du développement personnel avait été d’abaisser la barrière à l’entrée, et de reformuler les principes philosophiques et complexes d’Aristote, Epicure, Nietzsche, Jung ou Kant dans un langage simple, qui s’adresse à Monsieur et Madame tout le monde…
Le développement de soi, auquel on aspire pourtant tous, devient alors synonyme de foutaises.
Cette métamorphose du développement personnel au fil des âges à des conséquences.
De sombres conséquences.
#HeroesAreEverywhere